Au retour de la station-service

C’était l’automne passé. Ou celui d’avant. Dans le grand virage à droite d’après la station-service, penché sur ma trajectoire. De l’autre côté il y avait une voiture arrêtée contre le talus, un peu penchée aussi.

J’ai vu l’expression de sa conductrice, une jeune femme, nettement, avec le temps, tout le temps, qu’il fallait pour l’observer, tant il avait ralenti. Elle parlait au téléphone, à qui je l’ignore, mais j’ai capté son regard, cette attention, fixée sur un visage vers lequel elle se projetait, bien au-delà du pare-brise. Et je t’ai rêvée toi, derrière ce volant, ayant suspendu le cours de nos vies, au bord de l’agitation, en marge des événements, et me disant. Tu étais tout près, beaucoup trop loin.

Presque chaque soir, après m’être arrêté à la station-service, je négocie la même courbe, dans le même sens, qui n’est peut-être pas le bon, et je revois en surimpression cette automobile, posée à l’endroit le plus improbable de son itinéraire, à cette course suspendue, à l’intensité évidente de ce moment dont je ne sais rien, mais.

Puis je bifurque sur le chemin cahoteux qui monte vers la nuit, je prends garde au chien qui pourrait être assoupi sur le passage, il en est capable, je coupe le contact, et je retrouve le noir des cieux d’ici, pailleté d’étoiles à l’infini. Le calme, l’immobilité d’un monde qui ne bouge pas.

Aujourd’hui cependant, l’automobile avait disparu, absolument, laissant sa place à un asphalte net de la mélancolie qu’elle m’inspirait. Quelque chose s’était produit, de si ténu que je pouvais être victime d’une illusion. Un frémissement. Comme celui des bateaux à vapeur de mon enfance lorsqu’ils semblaient s’ébrouer tout entiers à l’instant où leur bielle énorme amorçait sa rotation pour entraîner leurs roues à aubes, après juste que les amarres aient été larguées et que l’espace entre leur coque et le quai allait croissant.

Les prémices d’un mouvement.

Qui nous pousse à nous retrouver.

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